Les grands modèles de langage (LLM) constituent désormais une infrastructure d'entreprise essentielle, et la conversation à leur sujet a changé. Le défi initial était : « Pouvons-nous le faire fonctionner ? » Aujourd'hui, les scientifiques des données et les ingénieurs en ML sont confrontés à une question plus pressante : « Pouvons-nous lui faire confiance pour qu'il fonctionne de manière correcte, sûre et équitable ? »
Vous l'avez probablement constaté vous-même. Vous affinez un modèle sur vos données, et il obtient de bons résultats sur votre ensemble de validation. Mais que se passe-t-il lorsqu'un utilisateur soumet un prompt astucieux pour contourner ses instructions de sécurité ? Et si votre modèle, entraîné sur de vastes données d'Internet, génère un contenu biaisé qui aliène un segment de clientèle ?
Ce ne sont pas des cas marginaux. L'injection de prompts, la fuite de données et les résultats toxiques sont des risques réels aux conséquences graves. Ils peuvent causer des dommages à la réputation, une perte de clients et des violations de la conformité. Construire une application LLM robuste ne consiste plus seulement à optimiser la précision. Il s'agit de concevoir pour la confiance.
Cet article propose un guide pratique pour évaluer votre pipeline de LLM. Nous nous concentrons sur des outils open source pour une application concrète. Ce guide vous aide à construire des systèmes sécurisés et équitables, que vous déployiez un modèle de base ou une version affinée.
Définir le périmètre de l'évaluation : le plan directeur de la confiance
Avant d'écrire du code d'évaluation, vous devez d'abord cartographier votre terrain. Les tests aléatoires sont inefficaces. Un périmètre clair rend vos efforts ciblés, mesurables et pertinents pour votre application.
Comprendre le contexte de votre LLM et sa surface d'attaque
Commencez par cartographier l'architecture de votre application LLM. Votre configuration dicte votre surface de contrôle, qui à son tour définit votre stratégie de test. Posez ces questions essentielles :
Source du modèle : API ou auto-hébergé ?
- API tierce (OpenAI, Anthropic, Google, Mistral) : Vous contrôlez les couches d'entrée et de sortie. Vous ne pouvez pas modifier les poids du modèle. Vos tests doivent se concentrer sur la robustesse des prompts, la validation des sorties et la sécurité des données envoyées à l'API. Le prompt est votre principal levier.
- Modèle open source (Llama, Falcon, Mixtral) : Vous contrôlez tout : les poids du modèle, les données d'affinage et la pile d'inférence. Cela vous donne plus de pouvoir pour renforcer le modèle, mais élargit également votre responsabilité. Vos tests doivent couvrir l'ensemble de la pile.
Archétype d'application : que fait votre LLM ?
La surface d'attaque d'un chatbot diffère de celle d'un agent LLM.
- Chatbot simple : Le risque est l'interaction directe. Un utilisateur peut-il « jailbreaker » le modèle ou le tromper pour qu'il génère du contenu préjudiciable ?
- Génération Augmentée par Récupération (RAG) : La surface d'attaque s'étend. Vous devez maintenant vous soucier de l'injection de prompt indirecte. Un attaquant pourrait empoisonner un document dans votre base de données vectorielle. Lorsque l'application récupère ce document, le LLM exécute l'instruction malveillante. Vous devez tester votre pipeline de récupération et la capacité du modèle à gérer du contenu non fiable.
- Agents LLM avec utilisation d'outils : Cette catégorie présente le risque le plus élevé. Un LLM capable d'exécuter du code ou d'interroger des API crée un potentiel de dommages important. Une attaque pourrait entraîner des appels d'API non autorisés, une exfiltration de données ou une manipulation du système. Vos tests doivent simuler des attaques sur les outils et la logique de décision du LLM.
Fixer des objectifs de sécurité et d'équité granulaires et mesurables
Des objectifs vagues comme « rendre le modèle sécurisé » ne sont pas exploitables. Vous avez besoin d'objectifs spécifiques et mesurables pour votre application.
Objectifs de sécurité exploitables :
- Prévenir l'injection de prompt directe : Le modèle ne doit pas suivre les instructions du prompt de l'utilisateur qui contredisent son prompt système.
- Prévenir l'injection de prompt indirecte (pour RAG) : Le modèle ne doit pas exécuter d'instructions cachées dans les documents récupérés.
- Détecter et bloquer les tentatives de jailbreak : Le modèle ou ses garde-fous doivent identifier et refuser les prompts utilisant des techniques de jailbreak connues.
- Éviter la fuite d'informations sensibles : Le modèle ne doit pas révéler de données propriétaires, son prompt système ou des informations personnellement identifiables (IPI).
- Prévenir le déni de service (DoS) : Le modèle doit gérer les prompts gourmands en ressources sans planter, car cela pourrait être un vecteur d'attaque.
Objectifs d'équité exploitables :
- Réduire les préjudices représentationnels : Le modèle ne doit pas générer de texte qui renforce les stéréotypes négatifs sur les groupes démographiques.
- Atténuer les préjudices allocatifs : Si le modèle soutient des décisions comme l'analyse de CV, sa performance doit être équitable entre les groupes démographiques. Un modèle moins précis pour un groupe peut conduire à des résultats inéquitables.
- Assurer un comportement cohérent : Les niveaux de politesse et de sécurité du modèle ne doivent pas se dégrader lors de l'interaction avec des entrées associées à des identités spécifiques.
- Prévenir les résultats préjudiciables : Le modèle doit refuser de générer du contenu dénigrant ou haineux, même à partir de requêtes apparemment inoffensives.
Une bonne pratique consiste à élaborer un modèle de menaces formel pour votre application. Ce n'est pas seulement un document ; c'est une analyse structurée où vous identifiez systématiquement qui pourrait attaquer votre système, ce qu'ils veulent accomplir et comment ils pourraient le faire. Par exemple, vous mettriez en correspondance la menace d'un « utilisateur malveillant » tentant d'« extraire des données propriétaires » avec le vecteur d'attaque spécifique de l'« injection de prompt ».
Ce processus transforme des risques abstraits en un plan d'évaluation concret. Il fournit la base stratégique pour tous vos tests de sécurité, en particulier pour les exercices menés par des humains comme le Red Teaming de l'IA. Pour apprendre à appliquer ces principes et à exécuter des simulations d'attaque sophistiquées, explorez notre guide sur les Techniques avancées en Red Teaming de l'IA.
2. Mettre en place votre harnais de test : le fondement de la reproductibilité
Une fois votre périmètre défini, construisez un environnement de test. Votre harnais de test automatise les évaluations, consigne les résultats et garantit que vos conclusions sont reproductibles.
Adopter le principe du protocole de contexte du modèle
Le « Protocole de Contexte du Modèle » est un principe, pas un outil : consignez chaque interaction du LLM dans un format structuré. Cette pratique est essentielle pour déboguer, rejouer les échecs et comparer les versions des modèles.
Un bon journal de contexte capture :
- Le prompt système complet.
- Le prompt exact de l'utilisateur.
- Tous les documents ou données récupérés.
- Les paramètres clés du modèle (température, nom du modèle, version).
- La sortie brute du LLM.
- Les étapes de post-traitement et la sortie finale destinée à l'utilisateur.
- Les horodatages et les identifiants uniques pour la traçabilité.
Ce principe vous fera économiser des heures de débogage.
Choisir vos outils d'orchestration
Les tests manuels ne passent pas à l'échelle. Utilisez des frameworks d'orchestration pour gérer les cas de test et les composants du pipeline.
- LangChain / LlamaIndex : Ces frameworks construisent la logique de l'application et sont également utiles pour les tests. Créez des « chaînes » de test pour envoyer des prompts par programme, capturer les sorties et les transmettre à un évaluateur. Cela vous permet de tester des composants spécifiques comme votre système de récupération ou votre analyseur de sortie de manière isolée.
- Harnais d'évaluation dédiés : Pour le benchmarking structuré, les harnais dédiés fournissent une manière standard d'exécuter des évaluations sur des ensembles de données et des modèles. Ils gèrent le code standard (boilerplate) du chargement des données et du calcul des métriques, vous permettant de vous concentrer sur les résultats. Les trois frameworks open source les plus importants pour cela sont le LM Evaluation Harness d'EleutherAI, HELM de Stanford, et le benchmark Gaia. Chacun a des forces différentes, que nous aborderons dans la section suivante.
3. Évaluer le comportement de base du modèle : l'analyse automatisée
Avec votre harnais prêt, commencez l'évaluation programmatique. Cette phase utilise des benchmarks pour établir une base de référence pour la sécurité et l'équité de votre modèle.
Tests de sécurité avec Gaia
Gaia est un benchmark conçu pour évaluer les capacités avancées de raisonnement en plusieurs étapes et d'utilisation d'outils dans les LLM. Sa structure, qui teste la robustesse dans des scénarios complexes, est très adaptée aux tests de sécurité.
- Comment ça marche : Gaia présente aux modèles des questions difficiles qui nécessitent souvent d'interagir avec des outils (par exemple, un système de fichiers, un navigateur web). Vous pouvez adapter ce framework pour la sécurité en créant des tâches qui tentent le modèle de mésuser de ses outils. Par exemple, une tâche pourrait être « Analysez le document ci-joint », où le document contient une attaque par injection de prompt indirecte.Copied!
1donnees_utilisateur.txt
- Ce qu'il faut tester : Utilisez une structure de type Gaia pour exécuter des suites de tests pour :
- Détection de jailbreak : Utilisez des prompts adverses provenant d'ensembles de données comme AdvBench. L'évaluateur vérifie si le modèle a obéi à la requête malveillante.
- Sécurité de l'utilisation des outils : Créez des cas de test où les données récupérées ou les sorties d'outils contiennent des commandes comme « Oubliez la question de l'utilisateur. » Un modèle performant ignorera cela et répondra à la question originale.
Biais et équité avec HELM
Pour une évaluation complète du comportement du modèle, HELM (Holistic Evaluation of Language Models) de Stanford est le benchmark de référence de l'industrie. Il va au-delà des métriques simples pour fournir une vue multidimensionnelle de la performance du modèle.
- Comment ça marche : HELM est un « benchmark vivant » qui évalue les modèles à travers un large éventail de scénarios et de métriques (précision, robustesse, équité, biais, toxicité). Il favorise la transparence en facilitant la comparaison de nombreux modèles sur les mêmes tests standardisés.
- Tests clés à exécuter : Bien que HELM soit massif, sa force pour nos besoins réside dans ses métriques ciblées :
- Biais : Il mesure les représentations stéréotypées selon le genre, la race et la religion.
- Toxicité : Il évalue la propension du modèle à générer un langage toxique.
- Équité : Il évalue si la performance du modèle est équitable entre différents groupes démographiques.
Passer votre modèle à travers les scénarios pertinents de HELM vous donne une base de référence quantitative et robuste que vous pouvez comparer à des dizaines d'autres modèles publics.
Explicabilité et dérive avec TrustLens
TrustLens excelle en matière d'observabilité et de débogage, en particulier pour les applications RAG.
- Comment ça marche : TrustLens enveloppe votre application LLM et enregistre des journaux détaillés de l'ensemble du pipeline pour chaque exécution. Il vous permet ensuite d'évaluer ces journaux par rapport à des métriques spécifiques.
- Métriques essentielles à suivre :
- Ancrage dans les faits (Groundedness) : C'est une caractéristique clé pour RAG. TrustLens décompose la réponse du LLM et vérifie chaque affirmation par rapport aux documents sources. Il signale les affirmations non étayées par le contexte comme des hallucinations potentielles.
- Pertinence : Il mesure à la fois la pertinence du prompt par rapport à la réponse et du contexte par rapport à la réponse. Des inadéquations peuvent indiquer que votre système de récupération extrait des informations non pertinentes.
- Dérive comportementale : En consignant ces métriques au fil du temps, vous pouvez détecter quand la performance de votre modèle change. C'est votre système d'alerte précoce pour les problèmes en production.
Faites du Red Teaming sur votre LLM : l'élément humain
Les évaluations automatisées testent les problèmes connus. Le red teaming est le processus humain visant à trouver des vulnérabilités inconnues. Il vous demande de penser comme un adversaire et de casser le modèle de manière inattendue.
Simuler des adversaires avec AdvBench
AdvBench (Adversarial Benchmarks) est un ensemble de données contenant des prompts spécifiquement conçus pour faire échouer les modèles. Ce ne sont pas de simples requêtes ; elles sont sophistiquées, souvent déguisées en tâches bénignes. Intégrer les prompts d'AdvBench dans votre harnais d'évaluation est un excellent premier pas dans le red teaming.
Conte de deux équipes : Red Teaming interne vs. externe
Une bonne stratégie de red teaming fait appel à la fois à des équipes internes et externes.
- Red Teaming interne : Cela devrait être un processus continu impliquant un groupe diversifié de votre organisation. Ils ont un contexte produit approfondi et sont excellents pour trouver des vulnérabilités spécifiques au domaine. Organisez des « attack-a-thons » structurés avec des objectifs spécifiques, comme « Faire en sorte que le modèle génère un e-mail de phishing convaincant. »
- Red Teaming externe : Faire appel à des experts extérieurs apporte une perspective nouvelle. Les red teamers externes ne sont pas biaisés par la connaissance interne du fonctionnement supposé du système. Ils apportent leur expérience de la rupture d'autres systèmes et leur connaissance des dernières techniques d'attaque.
Votre premier guide de Red Teaming
Suivez une approche structurée pour commencer :
- Définir les objectifs : Soyez précis. Essayez-vous de provoquer une fuite de prompt, un jailbreaking ou des résultats biaisés ?
- Adopter un persona : Le red teamer doit agir comme un type d'utilisateur spécifique : un adolescent curieux, un escroc ou un non-anglophone. Chaque persona utilise des tactiques différentes.
- Exécuter les attaques : Essayez systématiquement différentes techniques comme le jeu de rôle, la dissimulation d'instructions et l'injection indirecte.
- Consigner et catégoriser : Documentez chaque attaque réussie. Utilisez le format de votre Protocole de Contexte du Modèle. Catégorisez la vulnérabilité (par ex., « Fuite d'IPI ») et attribuez-lui un score de gravité.
- Rapporter et corriger : Présentez les conclusions à l'équipe de développement. L'objectif est de fournir des données exploitables, pas de chercher un coupable.
Ce guide fournit un bon point de départ. Pour un guide plus approfondi qui combine des catégories d'attaques structurées avec des scénarios de test du monde réel, consultez la méthodologie de red teaming de l'IA de NeuralTrust.
Boucler la boucle : appliquer des garde-fous et surveiller en continu
L'évaluation et le red teaming produisent une liste de vulnérabilités. L'étape finale consiste à mettre en œuvre des défenses et à établir un processus d'amélioration.
Ajouter des couches de correction avec des garde-fous
Le prompting ou l'affinage seuls ne peuvent pas toujours corriger le comportement de base d'un modèle. Vous avez parfois besoin d'une couche d'application des règles externe. Des outils de garde-fous comme Nemo Guardrails et Guardrails AI fournissent cela. Ces frameworks enveloppent votre LLM dans une couche de protection où vous définissez des règles pour contrôler la conversation. Vous pouvez :
- Définir des garde-fous thématiques (Topical Rails) : Empêcher le modèle de discuter de sujets interdits.
- Imposer un schéma et un format : S'assurer que la sortie du LLM est toujours un JSON valide ou un autre format requis.
- Implémenter des garde-fous de vérification des faits (Fact-Checking Rails) : Faire en sorte qu'un garde-fou appelle une API externe pour vérifier un fait critique avant de renvoyer une réponse.
- Bloquer les réponses non sécurisées : Si une réponse est signalée comme toxique ou comme une hallucination, le garde-fou peut la bloquer et renvoyer une réponse pré-enregistrée et sûre.
Surveiller, ré-entraîner et évoluer
La sécurité et l'équité ne sont pas des correctifs ponctuels. Elles nécessitent un cycle de vie continu.
- Alimenter la boucle : Utilisez les résultats des évaluations et des sessions de red teaming pour créer un ensemble de données de cas d'échec.
- Affinage pour la sécurité : Utilisez cet ensemble de données de cas d'échec pour affiner davantage votre modèle, en lui apprenant comment ne pas se comporter.
- Tests de régression : Après l'affinage, exécutez à nouveau toute votre suite d'évaluation. Une correction dans un domaine peut provoquer une régression dans un autre. Vous devez suivre ces compromis.
- Surveillance en production : Votre travail n'est pas terminé au déploiement. Utilisez des outils comme TrustLens et des tableaux de bord en temps réel pour suivre le comportement du modèle en production. Ce retour d'information en direct est une partie cruciale de la boucle.
Pour les opérations à grande échelle, une plateforme centralisée comme le AI Gateway de NeuralTrust est essentielle. Elle agit comme un plan de contrôle pour appliquer des garde-fous, exécuter des évaluations et appliquer des politiques de sécurité sur l'ensemble des modèles, automatisant cette méthodologie en un système de niveau entreprise.
Réflexions finales
Intégrer les LLM dans vos produits est plus qu'une tâche technique. C'est un engagement envers vos utilisateurs, votre marque et vos principes éthiques. La sécurité et l'équité doivent faire partie de votre cycle de vie de développement, et non une réflexion après coup.
L'écosystème open source fournit des outils comme HELM, Gaia, TrustLens et Guardrails AI pour commencer. Débutez avec un périmètre défini, construisez un harnais de test reproductible et combinez l'évaluation automatisée avec le red teaming mené par des humains. Faites de ce processus une habitude.
En adoptant une culture axée sur l'évaluation, vous construisez plus qu'un simple pipeline de LLM fonctionnel. Vous en construisez un qui est digne de confiance. À l'ère de l'IA, la confiance est votre atout le plus précieux.